Claude Le Jeune (c.1530-1600) |
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Octonaires de la
vanité et inconstance du monde |
Premier mode Quand on arrestera la course coustumiere Du grand courrier des Cieux qui porte la lumiere, Quand on arrestera l'an qui roule toujours, Sur un char attelé de mois, d'heures, de jours : Quand on arrestera l'armée vagabonde Qui va courant la nuit par le vuide des Cieux, Décochant contre nous les longs traits de ses yeux, Lors on arrestera l'inconstance du monde. Qui ne s'esbahira levant en haut les yeux, Voyant l'ordr' aresté de la course des Cieux, Et regardant en bas la terre ferm' et stable N'avoir rien qui ne soit inconstant et muable ? Ce qui vit sur la terr' et tout ce qui en est Est caduc et mortel, sans repos, sans arrest : Les Cieux roulent toujours, et sur les Cieux demeure Le repos aresté d'une vie meilleure. Plustost on pourra faire Le jour qui luit N'avoir plus pour contraire L'obscure nuit Et marier le feu Avecque l'onde, Que de conjoindre Dieu Avec le monde. |
Second mode Le feu, l'air, l'eau, la terre, ont toujours changement, Tournant et retournant l'un à l'autr' élément. L'Eternel a voulu ce bas mond' ainsi faire Par l'acordant discord de l'élément contraire, Pour montrer que tu dois ta felicité querre Ailleurs qu'au feu, qu'en l'air, qu'en l'eau, et qu'en la terre : Et que le vray repos est en un plus haut lieu Que la terre, que l'eau, que l'air et que le feu. Y a il rien si fort, si rude et indomtable Que le flot de la mer par les vents tourmenté ? Y a il rien qui soit si foible que le sable ? Le flot est toutefois par le sable aresté. O mondain, de combien la tempeste est plus forte Du vent de tes desirs qui ton ame transporte ! Veu que rien n'est si fort au monde qui retienne Le flot tempestueus de la passion tienne. Le beau du monde s'éface Soudain comme un vent qui passe : Soudain comme on void la fleur Sans sa premiere couleur. Soudain comme une onde fuit Devant l'autre qui la suit. Qu'est-ce doncques que du monde ? Un vent, une fleur, une onde. |
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